Vènerie et cohésion sociale

A l’heure de l’apogée du divertissement de masse et des nouvelles technologies, des contenus dématérialisés et illimités accessibles depuis chaque domicile, les moyens de mobilité permettent toujours plus de déplacements, plus loin, plus vite, plus souvent. Les quelques 80% de la population française urbanisée sont reliés, par la fibre optique et les achats en ligne, à l’infinité du savoir de l’humanité.

Ces sources quasi-obligatoires accélèrent l’évolution vers un modèle de pensée préétablie et un mode de vie idéalisé. Ce nouveau standard de vie veut gommer les différences de pouvoir d’achat, faire disparaître les limites environnementales ville-campagne, proposer une nouvelle vie identique à chaque individu homme ou femme et bientôt animal. Les français n’ont jamais été autant étrangers à leur propre culture, coupés de leurs terroirs, de leurs racines et des traditions populaires. Les individus n’ont jamais été aussi isolés, en situation de fragilité émotionnelle ou de perte de repères. La mobilité débridée, la communication logorrhéique dématérialisent aussi la vraie rencontre, l’activité collective.

Nous arrivons ces dernières années face au constat d’une fracture dans la société française. Un fossé semble s’être creusé entre riches et pauvres, entre les habitants des campagnes et ceux des agglomérations urbaines. Sports bourgeois et loisirs populaires sont de nos jours bien compartimentés. Chacun mène son existence environné de ses pairs sans réellement fréquenter ni même connaître les riverains de son propre peuple issus d’autres milieux. L’incompréhension et la défiance se révèlent dans les manifestations violentes dont nos rues ont été le théâtre ces derniers mois et dans le ton des discussions sur les réseaux sociaux.

Rares sont devenues les vraies activités qui, comme la chasse à courre, mêlent avec autant de force une si large palette de la population, d’un extrême à l’autre de l’échelle sociale.

Les sociologues de renom Pinçon-Charlot ont mené une vaste enquête de terrain en suivant des équipages de la France entière au fil de plusieurs saisons. Leur étude démontre de manière frappante les liens humains formidables créés et entretenus tout au long de l’année par les équipages de grande et petite vènerie mêlant « des ducs et des ouvriers, des banquiers et des cantonniers, des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes. »[1]

En France, en ce début de XXIe siècle, veneurs ruraux et habitants des villes partagent leur grande connaissance de la nature au service d’une chasse loyale, ouverte à tous, dans une rare atmosphère de convivialité.

A l’heure où elle n’a jamais été aussi décriée, incomprise, menacée, la vènerie porte, plus que jamais, un message à transmettre : la preuve d’une possible réconciliation de nos rapports sociaux.

Notre société devrait trouver dans cette institution vivante qui a traversé les âges une invitation à connaître et estimer nos riverains, renouer une proximité avec la nature, à s’émerveiller devant la vie du monde sauvage, retrouver la douceur et la courtoisie dans nos rapports humains, à nous réconcilier avec notre patrimoine culturel et les valeurs oubliées de notre vieille civilisation.

[1] PINÇON, Michel, PINÇON-CHARLOT, Monique, La chasse à courre. Ses rites et ses enjeux, Paris, Payot et Rivages, 1993, p. 155 (réédition, Paris, Petite Bibliothèque Payot, n° 269, 1995, 308 p.).

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