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Ma première saison de chasse à courre au cerf

Intégrer un équipage dans la voie du cerf fut une aventure humaine exaltante, initiée en même temps que mon début de vie professionnelle.

Après avoir consacré une part importante de mes études d’ingénieur aux loisirs de la chasse à tir sous ses formes diverses, j’ai découvert la chasse à courre par le stage de trompes de chasse de Dobert, dans la Sarthe. Le monde de la vènerie, chaleureux, accueillant, m’est vite devenu familier. Être veneur m’apparut rapidement comme une aspiration naturelle, évidente, nécessaire.

Mon premier et seul réel obstacle à franchir – mais non des moindres – fut celui de l’équitation. Quelques lointains souvenirs de poney club datant de l’enfance et une certaine appréhension du cheval qui s’était installée avaient besoin d’un sérieux dépoussiérage.

La divine Providence plaça sur mon chemin quelques fidèles compagnons de vie, cavaliers auxquels je dois tant, qui me transmirent ce trésor millénaire du lien homme – cheval. Quelques séances de cours particuliers en centre équestre, de longues balades au pas en lisières de forêt domaniale les soirs d’été, ne furent pas superflues avant d’être opérationnel pour suivre mon premier laisser-courre.

Je tairai, bien sûr, une chute mémorable dont Saint Hubert me laissa un souvenir heureux pour ne retenir qu’un seul conseil : ne pas négliger les reprises en manège, bien utiles et nécessaires, avant les premières sorties en forêt. (et un deuxième : tenir les rênes…).

Une litanie d’apprentissages et de gestes environnent notre pratique du cheval toute l’année : porter l’avoine et le foin aux pâtures, panser un cheval, replacer un clou sous une ferrure et même apprendre à ferrer, tondre, assister le dentiste équin, entretenir une clôture, aménager un point d’eau, débroussailler un talus, capturer un cheval en pâture, embarquer dans un van…

Comment ne pas évoquer ensuite la facilité et le plaisir des répétitions de trompes au chenil, les sorties de chiens en pâture, puis à cheval l’été, avant la poésie des premières chasses d’entraînement. Les préparatifs de l’avant-chasse, les réjouissances de l’après-chasse, le festival continu des rencontres, les chevauchées par chaque chemin creux d’un domaine qui se compte en dizaines de milliers d’hectares.

La trompe, le cheval, le chien… l’arbre, la forêt… autant de disciplines qui mériteraient, chacune, d’y consacrer une vie. Au soir de cette première saison, il me semble avoir tout à apprendre encore du sens de la chasse, des habitudes des animaux, des recoins de notre territoire, communiquer efficacement et à bon escient en action de chasse, lire et relire nos parcours…

La vènerie m’apparaît comme une école d’humilité où la transmission, les sagesses du passé tapies dans les mémoires des anciens, occupent la première place. Il faut avoir la curiosité d’aller à leur découverte, vouloir apprendre, rechercher la pureté d’un instinct de chasse qui nous relie dans nos gènes à nos premiers aïeux.

Rejoindre un équipage est avant tout s’enraciner dans l’écosystème humain d’un territoire pour y partager des amitiés qui vivent toute l’année. Adopter une vie d’action à mi-chemin entre boy-scout et chevalier à la table du roi Arthur. Rien d’autre de nécessaire que volonté, passion et sens de l’engagement.

Vènerie et cohésion sociale

A l’heure de l’apogée du divertissement de masse et des nouvelles technologies, des contenus dématérialisés et illimités accessibles depuis chaque domicile, les moyens de mobilité permettent toujours plus de déplacements, plus loin, plus vite, plus souvent. Les quelques 80% de la population française urbanisée sont reliés, par la fibre optique et les achats en ligne, à l’infinité du savoir de l’humanité.

Ces sources quasi-obligatoires accélèrent l’évolution vers un modèle de pensée préétablie et un mode de vie idéalisé. Ce nouveau standard de vie veut gommer les différences de pouvoir d’achat, faire disparaître les limites environnementales ville-campagne, proposer une nouvelle vie identique à chaque individu homme ou femme et bientôt animal. Les français n’ont jamais été autant étrangers à leur propre culture, coupés de leurs terroirs, de leurs racines et des traditions populaires. Les individus n’ont jamais été aussi isolés, en situation de fragilité émotionnelle ou de perte de repères. La mobilité débridée, la communication logorrhéique dématérialisent aussi la vraie rencontre, l’activité collective.

Nous arrivons ces dernières années face au constat d’une fracture dans la société française. Un fossé semble s’être creusé entre riches et pauvres, entre les habitants des campagnes et ceux des agglomérations urbaines. Sports bourgeois et loisirs populaires sont de nos jours bien compartimentés. Chacun mène son existence environné de ses pairs sans réellement fréquenter ni même connaître les riverains de son propre peuple issus d’autres milieux. L’incompréhension et la défiance se révèlent dans les manifestations violentes dont nos rues ont été le théâtre ces derniers mois et dans le ton des discussions sur les réseaux sociaux.

Rares sont devenues les vraies activités qui, comme la chasse à courre, mêlent avec autant de force une si large palette de la population, d’un extrême à l’autre de l’échelle sociale.

Les sociologues de renom Pinçon-Charlot ont mené une vaste enquête de terrain en suivant des équipages de la France entière au fil de plusieurs saisons. Leur étude démontre de manière frappante les liens humains formidables créés et entretenus tout au long de l’année par les équipages de grande et petite vènerie mêlant « des ducs et des ouvriers, des banquiers et des cantonniers, des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes. »[1]

En France, en ce début de XXIe siècle, veneurs ruraux et habitants des villes partagent leur grande connaissance de la nature au service d’une chasse loyale, ouverte à tous, dans une rare atmosphère de convivialité.

A l’heure où elle n’a jamais été aussi décriée, incomprise, menacée, la vènerie porte, plus que jamais, un message à transmettre : la preuve d’une possible réconciliation de nos rapports sociaux.

Notre société devrait trouver dans cette institution vivante qui a traversé les âges une invitation à connaître et estimer nos riverains, renouer une proximité avec la nature, à s’émerveiller devant la vie du monde sauvage, retrouver la douceur et la courtoisie dans nos rapports humains, à nous réconcilier avec notre patrimoine culturel et les valeurs oubliées de notre vieille civilisation.

[1] PINÇON, Michel, PINÇON-CHARLOT, Monique, La chasse à courre. Ses rites et ses enjeux, Paris, Payot et Rivages, 1993, p. 155 (réédition, Paris, Petite Bibliothèque Payot, n° 269, 1995, 308 p.).