« L’animal et la mort » : il faut lire Charles Stépanoff

Il faut lire « L’animal et la mort », le récent ouvrage de Charles Stépanoff paru aux éditions de La Découverte, qui vient d’être couronné, par le premier prix de l’essai France Culture-Arte. Durant deux années, cet anthropologue, bien connu des lecteurs de la revue Vènerie qui lui aura ouvert ses pages durant toute l’année 2021, a mené une enquête « immersive » sur le terrain de la chasse.

Tout d’abord, il note combien nos contemporains ont « atteint individuellement un degré de sensibilité et d’intolérance à la violence sans précédent, alors même que nous appartenons collectivement à un Occident dont la formidable violence destructrice est sans égale dans l’histoire de la vie. » Il nous livre une analyse passionnante de la relation de l’homme du XXIème siècle aux animaux. Il distingue l’animal-matière (animal de rente) de l’animal-enfant (l’animal de compagnie, intégré à la famille et privé de vie sociale et sexuelle avec ses congénères). Nos contemporains sont tiraillés par une véritable « déchirure morale » entre les nécessités vivrières de l’exploitation productiviste et les relations morales et de protection qu’ils souhaitent étendre aux animaux de compagnie.

Pour Charles Stépanoff, la chasse entre en contradiction avec ce dualisme exploitation-protection. Il considère la chasse et les chasseurs avec la curiosité de l’intellectuel attaché aux savoirs de l’homme. « A l’heure où nous sommes de plus en plus nombreux à nous interroger sur la viabilité et le sens de nos modes de vie face aux désastres qui s’annoncent, il serait sage d’accorder aux formes minoritaires de rapports au vivant curiosité et observation attentive… » Il décrit la chasse comme « un acte volontaire de confrontation de l’humain avec un animal sauvage capable de lui résister… Il faut que la chasse puisse échouer, infligeant à l’homme l’expérience – aujourd’hui rare – des limites de sa domination. » Il voit à travers la remise en cause de la chasse un des nombreux témoignages de « l’effilochement rapide du tissu des relations entre les hommes et les autres vivants. »

Pour ce qui est de la vènerie, il considère qu’elle « se heurte frontalement à la cosmologie moderne : en introduisant au cœur du monde sauvage une tradition culturelle avec costumes, fanfares et cérémonies, elle contrevient à la séparation entre nature et culture. » Le veneur serait tenté de dire qu’elle y contrevient avec bonheur, pour mieux démontrer combien nature et culture sont imbriquées, combien notre culture est imprégnée de la nature dans laquelle elle s’est développée.

Signalons aussi la qualité de son analyse sur l’opposition à la chasse à courre plus complexe que le raccourci qui en est communément donné et qu’il résume comme un « nouveau type de lutte géo-sociale et cosmique entre des milieux intellectuels et des milieux populaires. »

On l’aura compris, Charles Stépanoff illustre à merveille la capacité des intellectuels à poser sur des situations de tension le calme et la distanciation de l’analyse documentée et fondée sur une riche connaissance des cultures dans leur diversité et leurs ressemblances. Il sait nommer les situations et caractériser l’état d’esprit de nos contemporains vis-à-vis d’un monde animal qui leur est de plus en plus étranger dans son authenticité.

Ce faisant, il contribue aussi à donner aux chasseurs une explication des ressorts de leur passion qui en alimente le partage avec leurs contemporains. Trop souvent, nous autres veneurs éprouvons des difficultés à expliciter les raisons de notre attrait pour la chasse. Le chemin du cœur au cerveau, i.e. de la passion à son explication, est jonché d’embuches. Sachons donc nous approprier les riches analyses contenues dans le livre de Charles Stépanoff pour toujours plus et mieux expliquer à nos contemporains pourquoi nous chassons.

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