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Une vie de chien : Urus, chien remarquable

Quelle difficulté ! Choisir un chien remarquable parmi tous ceux que j’ai eu la chance de connaitre et d’aimer est une épreuve. C’est une épreuve car ils ont tous été remarquables chacun à leur façon. Tous ont donné le meilleur d’eux mêmes, parfois dans l’ombre des autres. La réussite de la meute même si elle met en valeur un individu, cette réussite est le résultat du travail de tous. Aussi quand on aime et que l’on a aimé ses chiens, quand on a partagé sa vie avec eux, on a envie de les citer tous et l’on éprouve un sentiment de trahison à l’idée de n’en choisir qu’un. Ce n’est pas une meute que l’on aime, mais bien chaque chien individuellement. On aime le meilleur, mais aussi le plus faible pour l’aider à progresser et à en tirer la quintessence.

Allez, je reprends avec vous la liste que j’ai reconstitué depuis l’année de ma naissance jusqu’à aujourd’hui pour essayer malgré tout de faire un choix.

Mon Dieu, cela commence mal, un des tout premiers noms qui apparaît, Mistral, le chien qui sautait le grillage du chenil pour venir me rejoindre dans mon bac à sable. Quand la voiture de Papa s’approchait du domicile situé en plein centre de Laval le chien retournait précipitamment au chenil tant et si bien qu’il n’a jamais été pris en faute. A trois ans j’étais encore bien jeune pour comprendre la qualité de ce chien mais je suis resté marqué par la séparation quand Mistral n’ayant plus de train fut donné à un ami.

J’égraine la liste, et j’y vois des noms qui me remémorent avec précision les regards, des caractères, des joies, des peines. Je n’en oublie aucun.

J’arrive sur les chiens de l’adolescence, les grands chiens qui ont fait l’équipage et dont les noms sont immortalisés dans les paroles de la fanfare « La Courcier  » : « c’est l’incomparable Congo qui a attaqué, Carillon mettra hors son train, Dictateur saura débrouillé et toute la meute reprendra en refrain ». Congo qui lançait 50 % des animaux sans jamais quêter. Une émanation, il nous quittait et le lancer était assuré dans les secondes qui suivaient ; Carillon qui donnait un train d’enfer à l’attaque ; Dictateur un chien d’une intelligence supérieure, jamais un reproche à lui faire, des éclats en permanence. Je me souviens cette fin de chasse en débucher, Dictateur avait été exceptionnel tout au long de la chasse. Il portait le coup fatal en imposant un train hors du commun et prenant dans la plaine l’animal (le renard) à vue : je lui criais, ou plutôt je le suppliais de s’arrêter pour attendre les autres. Et Dictateur s’était arrêté, couché, prêt à s’élancer à nouveau. Il a attendu l’ordre jusqu’à ce que la meute arrive. Que de caresses et même de baisers quelques instants après à la prise !

Korrigan, Litanie, Malice, Mare noire, les derniers chiens de Papa avant sa disparition tragique. Puis ceux qui ont suivi : Persac, Ténor, Equateur, des grands chiens qui ravivent le souvenir de la vie qui continuait. Plus récemment Idéal, Inventaire, Gallion. Je pourrais écrire un livre sur chacun d’eux.

Enfin les chiens d’aujourd’hui : Lauréat, Lavandière, Granger , Malouine, Norois et tous les autres qui nous donnent tant et toujours le maximum d’eux mêmes à condition de bien comprendre ce qu’ils nous disent.

Alors puisque je dois en citer un je choisirais Urus. Urus, tu étais un concentré de toutes les qualités que l’on souhaite trouver chez un chien tout en étant d’une grande modestie et d’une grande douceur. C’est à ce titre que tu mérites bien ici cet honneur de représenter tous ceux qui t’ont précédé et tous ceux qui t’ont suivi. Chien sans histoire, gentil au chenil, tu n’as jamais fait une bêtise. Tu as été toujours appliqué. Tu étais là quand il fallait, où il fallait. Rapidement tu as été de change mais plus infaillible que la normale.

Parmi tant d’anecdotes je me souviens de cette chasse ou nous couplions. Ce jour là 60 chiens des deux équipages tous bien « affûtés »emmenaient rondement un animal de 80 livres. Alors que nous venions à peine d’attaquer nous entendons un relancer magnifique. Bien aller sont sonnés sauf que… Urus revient ! Nous venions de faire change après seulement 10 minutes de chasse ! Personne ne le croit et surtout n’y porte attention tant les chiens crient. Et pourtant nous venions sans nous en rendre compte de passer sur un animal de 150 livres.

Urus chien de change « vaincu » après 10 minutes de chasse, banal me direz vous. Pas du tout ! Urus, s’il l’avait voulu savait retrouver son animal. Il était infaillible. Urus chien de change convaincu alors penserez vous ? Non plus, Urus était encore bien au delà. C’était un chien « accompli » c’est à dire qu’à chaque situation, par son intelligence, il dépassait les limites du réflexe mécanique. Ce jour là, Urus avait compris que nous ne l’écouterions pas. Il n’y avait qu’à regarder ses yeux pour comprendre ce qu’il disait.

Urus après une très belle carrière a pris sa retraite à l’âge de 8 ans chez un ami lieutenant de louveterie et il a vécu jusqu’à l’âge de 14 ans. Il a gardé précieusement avec lui jusqu’au dernier jour cette qualité de ne chasser qu’un animal. La dernière année de sa vie son propriétaire a tenu à me le faire rencontrer une dernière fois. Après quelques secondes à ma grande surprise Urus m’a reconnu et manifesté des gestes d’affection émouvants. Puis il a posé sa tête dans mes mains comme autrefois et comme il aimait tant le faire.

Merci Urus dans cette position tu représentes tous les chiens de l’équipage mais plus encore par cette tête dans les mains tu symbolises et tu immortalises la confiance que vous mettez en nous. Et si au fil de ses 70 années nous avons pu vous décevoir je vous demande ici pardon.

Disparus, actuels et à venir mes chiens, nos chiens, je vous aime, nous vous aimons, nous vous aimerons et pour toujours.