Montrer la mort

On a coutume de classer les motivations des opposants à la chasse à courre en deux catégories : la lutte des classes et le bien-être animal. On a démontré maintes fois que l’une et l’autre étaient de pures constructions de l’esprit et que la réalité était à l’exact inverse. Et pourtant l’opposition à la chasse à courre perdure ; n’y aurait-il pas à en chercher une autre raison ?

Dans l’ouvrage qu’il a récemment publié* et que, décidément, il faut lire, Charles Stépanoff déclare notamment : « La chasse à courre est en totale contradiction avec le statut de la mort dans notre société, à la fois camouflée et industrialisée. » Attardons-nous un instant sur cette remarque fondamentale, en nous limitant à la mort des animaux.

Que cette mort soit cachée, c’est certain. Il est bien loin le temps où la famille se réunissait dans la cour de la ferme pour voir « tuer le cochon », et c’est même devenu un hypothétique spectacle qui vaudrait le bûcher à ceux qui entreprendraient d’y faire assister de jeunes enfants. La mort est industrialisée aussi, afin de pourvoir aux besoins en alimentation carnée d’une population toujours plus nombreuse. Et c’est sans doute cette industrialisation qui a fait disparaitre la mort des animaux. On ne les voit pas mourir ; on ne les connaît pas ; on ne les reconnaît pas dans le conditionnement cellophané qu’on en fait. A ce prix, il est supportable de s’en nourrir. C’est l’idée de la mort qui est rejetée par nos contemporains.

Pour continuer à ne parler que des animaux, un vétérinaire témoignait récemment du comportement étrange des propriétaires au moment de la mort de leur chien, lorsqu’une piqure va abréger leurs ultimes souffrances. Très peu de ces maîtres sont auprès d’eux dans ces instants ; ils s’en remettent au praticien et « ne veulent pas voir ça ». Et pourtant, témoigne le vétérinaire, les yeux du chien désemparé qui sent la mort venir cherchent désespérément le maître à qui ils ont donné tout leur amour durant leur vie. N’est-elle pas là, la véritable cruauté, un maître qui refuse sa présence à son fidèle compagnon au seuil de la mort, par peur de s’en trouver attristé ? Fatal égoïsme !

Effectivement, la chasse à courre est l’exact inverse de ces lâchetés. Les veneurs se réunissent dans l’objectif de chasser et de prendre un animal qui va devenir « l’animal » de la journée, objet de la quête des chiens servis par les hommes, objet de l’admiration des hommes qui le chassent, spectateurs de son habileté à déjouer ses poursuivants comme de son courage physique. Un et un seul animal de chasse car, comme le dit le proverbe, on ne saurait courir deux lièvres à la fois. Une relation brève mais intense, admirative, respectueuse, se noue entre l’animal sauvage et ceux qui le chassent. Le voir vivant puis le voir mort si les chiens en triomphent sera le signe d’une journée réussie. L’animal sera fêté à la curée. On célébrera son combat, ses ruses, la capacité des chiens à en triompher. Autour des veneurs se réuniront les riverains, amis, propriétaires. Assurément, sa mort n’est pas cachée ; c’est même tout le contraire.

Au dîner qui suit la chasse, certains équipages ont coutume de placer la dépouille de l’animal pris au centre de la table. Rien de « barbare » là-dedans, mais encore une fois l’hommage à cet être sauvage qui a réuni les hommes dans sa quête pour un moment de partage.

Tout être vivant va mourir. Ceux que chasse la vènerie sont abondants dans nos campagnes et leur chasse ne met pas en péril la survie de leur espèce. En revanche leur régulation est nécessaire ; et si la part qu’y prend la chasse à courre est modeste, au moins rend-elle aux animaux qu’elle prélève l’hommage de l’Homme à la nature dans un cérémonial chargé de signification. Cela peut sembler dissonant dans la société moderne. Mais plutôt que de le condamner, il faudrait plutôt se réjouir de cette culture diversitaire dont nos « influenceurs » dominants ne cessent de vanter les mérites.

* « L’animal et la mort »  aux éditions de La Découverte.

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