Elles sont moins de 4 % : les femmes sont-elles « l’avenir de la chasse » ?

Ouest France – sam 27 septembre 

Pourquoi la chasse est-elle une pratique si masculine  ? Si le nombre de chasseresses évolue, elles restent ultra-minoritaires dans un milieu longtemps marqué par l’entre-soi masculin. Leur image est utilisée pour changer le regard de la société sur la chasse.

Enquête

Figure des chasseresses, Martine Pion se souvient de ses premières chasses au gibier d’eau, de nuit, dans son village de la Somme, à Béthencourt-sur-Mer. « J’avais 10 ans. J’ai suivi mon frère et ses copains. J’ai trouvé que c’était un moment de liberté merveilleux, en pleine nature. On partait la nuit. C’était comme partir en week-end. Étant fille d’agriculteurs, je me sentais dans mon élément. Ce n’était pas tant de prélever qui comptait. C’était d’abord une ambiance ».

Elle a été « bien accueillie », dit-elle, mais elle est restée « longtemps la seule femme » à chasser dans son village. Aujourd’hui encore, alors que Martine Pion a créé il y a vingt-six ans l’Association nationale de la chasse au féminin, devenue l’Association des chasseresses de France, le monde de la chasse reste majoritairement masculin.

Les femmes ne représentent que 3,3 % des chasseurs (chiffres 2022-2023). 32 000 chasseresses, sur près d’un million de chasseurs. Machos, les chasseurs ? « Oui, pendant longtemps, reconnaît Willy Schraen, emblématique président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Macho, très masculin ». Mais il jure que la donne a changé. « Il y a peut-être encore quelques vieux cons, mais on suit l’évolution de la société. Les tabous sont levés, je n’entends plus aucune réflexion. »

« Il y a quelques cas, répond de son côté Martine Pion, mais ils ne sont pas du tout représentatifs ». Loin d’elle l’idée de critiquer les chasseurs, déjà bien trop décriés. Sa démarche n’est « pas féministe ». Ce qu’elle a voulu avec son association, qui a vu naître de multiples antennes locales, c’est « faire entendre » la voix des femmes, les « rendre visibles », dans un monde où elles étaient invisibilisées. « Et les inciter à passer le permis. »

Elle a couru les plateaux télé (chez Ruquier notamment), les ministères. Et salue aujourd’hui la place faite aux femmes « dans les grandes instances cynégétiques. Il y a encore beaucoup de travail mais on est vraiment écoutées ». Elle met en avant des chiffres : « Il y a vingt ans,on était 0,5 % ».

Willy Schraen applaudit : « Ces associations ont servi de tremplin, pour lever les réticences des femmes à se retrouver au milieu d’hommes ». Le président de la « Fédé » est convaincu qu’une révolution est en marche. « Trois femmes président aujourd’hui des fédérations départementales », avance-t-il. Sur 94. Plus jeunes, mais issues à 80 % du milieu rural, les femmes qui chassent ont aussi « une magnifique éthique, vante Willy Schraen. Le fait de tuer un animal n’est pas fondamentalement le but de la journée. C’est être dans la nature, avec leur chien, lever du gibier ou voir des choses extraordinaires. » Martine Pion approuve : « On n’a pas les mêmes visions, notamment en matière de respect de l’animal, de législation, de sécurité. » Willy Schraen : « Les femmes n’ont jamais été responsables d’un accident de chasse, même bénin. Ce n’est pas anodin. »

Les femmes sont aussi moins portées sur les armes, constate Alexandra Baron, directrice de la Fédération des chasseurs de Vendée. « Un quart des personnes qui pratiquent la vénerie (chasse à courre) sont des femmes. Sans doute parce qu’on n’y utilise pas d’armes à feu », remarque-t-elle. En revanche, le travail avec les chiens et les chevaux est primordial, et « les femmes y sont particulièrement attachées ».

La fédération a compris tout l’intérêt de mettre en avant les femmes pour changer le regard porté sur les chasseurs par la société, très critique. « Dans l’opinion, on est dans la caricature, grince le patron, avec son habituel franc-parler. Les chasseurs sont perçus comme des gros cons qui picolent. Avec les femmes, on brise le sketch sur les chasseurs de galinettes cendrées des Inconnus. Ça surprend nos opposants. » Quitte à actionner des leviers très genrés, comme la mise en avant du « soin » porté à la nature.

Certaines chasseresses ont investi les réseaux sociaux, se font influenceuses, posant cheveux blonds lissés avec leur chien, fusil à l’épaule, parfois avec leurs « prélèvements » dans des clichés esthétisants. Comme Johanna Clermont, 190 000 followers sur Instagram.

La fédération elle, diffuse régulièrement des vidéos des chasseresses pour faire sa promo. Et dans son rapport d’activité 2024, elle leur consacre un chapitre entier, à travers une « radioscopie des femmes chasseresses en France ». On apprend qu’elles sont de plus en plus nombreuses à passer le permis : 15 % sur la période 2020-2023. « 25 % aujourd’hui », assure Willy Schraen. « La femme est l’avenir de la chasse », s’enflamme-t-il régulièrement.

Non seulement, les femmes peuvent redorer l’image de la chasse, mais aussi regonfler ses rangs, alors que le nombre de chasseurs est en baisse. Le président de la Fédération des chasseurs est convaincu que d’ici vingt ans, la parité sera atteinte. « Peut-être que dans un siècle, ce sera la grande passion des femmes. Et les hommes seront minoritaires. »

On n’en est pas là. Qu’est-ce qui éloigne les femmes de la chasse, en dehors de l’entre-soi cultivé par les hommes ? Les armes ? L’attitude de prédation à l’égard du vivant ? Des anthropologues se sont penchés sur le sujet, rapporte Christophe Baticle, maître de conférences à l’université Aix-Marseille. Certains – des hommes – ont par exemple avancé que les femmes, « parce qu’elles donnent la vie, ne peuvent pas faire couler le sang ».

De leur côté, les écoféministes relient et dénoncent l’oppression exercée par l’homme à la fois sur la nature et sur les femmes, pointe la philosophe Catherine Larrère, professeure émérite à La Sorbonne. « Et quand on se libère des injonctions de genre, on n’a pas envie d’agir comme des hommes. Les femmes veulent avoir une autre attitude à l’égard de la nature. Elles ne considèrent pas que chasser est une manière de se libérer. »

Pour certains, la pratique de la chasse est longtemps apparue comme un retour à l’homme primitif, qui survit glorieusement dans un environnement hostile. Figure qui peut encore séduire les masculinistes. Dans l’imaginaire collectif, « la chasse est sans doute l’activité genrée (réservée aux hommes) la plus ancienne et la plus constante », dit la philosophe. Mais on sait, notamment depuis les travaux de la paléontologue Marylène Patou Mathis, que les femmes préhistoriques, aussi, chassaient. Pour l’heure, remarque encore Christophe Baticle, « les questions d’identité de genre n’ont pas encore atteint le monde cynégétique ».

« Rendre visibles » les femmes

Les femmes préhistoriques chassaient, elles aussi

par  Carine Janin.
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