Retraite et mystères

La dernière retraite de la saison a été sonnée dans tous nos équipages. Retraite prise ou retraite manquée, elle nous laisse cependant toute l’intersaison pour méditer sur les bonheurs d’être veneur et les interrogations dans lesquelles nous plonge chaque chasse. Si Socrate avait fait du questionnement la base de la philosophie, à coup sûr, les veneurs sont de grands philosophes. Après lui, Louis de la Bastide interrogeait, dans son ouvrage de référence : « Pourquoi j’ai manqué mon cerf ? Pourquoi j’ai manqué mon chevreuil ? »

Certes, si le questionnement est plus obsédant par retraite manquée, les mystères de la nature n’en sont pas moins profonds par retraite prise. Cette confrontation du veneur et de sa meute avec l’animal sauvage est mystère, et la victoire du veneur, victoire provisoire comme il ne l’oublie jamais, n’écarte en rien la magie de la rencontre entre les chiens de vènerie et l’animal de meute.

Car la confrontation elle-même est mystère. D’où viennent ces capacités olfactives hors du commun qui permettent à un chien de vènerie d’emmener une voie en forlonger d’une heure sur un sanglier ou un cerf ? Pourquoi les chiens se rallient-ils lorsque l’un d’eux a retrouvé la voie et négligent-ils l’appel d’un autre sur un change ? D’où vient que les animaux chassés possèdent, dès le plus jeune âge, cette capacité à ruser pour échapper à la meute ? Comment leur est enseignée l’idée de se harder, de ruser à l’eau, de faire hourvari, de livrer le change ou de se forlonger ? Cette part de ce qu’il faut bien appeler l’inné est renforcée par l’expérience, et plus d’un veneur a pu constater qu’un animal qui a déjà été couru n’en devient que plus difficile à prendre, tant les acquis de l’expérience ont enrichi sa capacité à échapper à la meute.

Mais les ruses de l’animal n’expliquent pas seules les difficultés des veneurs, qui ne sont pas tous égaux face à l’animal sauvage. Si le marquis de Chambray s’acquit une réputation exceptionnelle en sonnant 97 hallalis au cours de 97 chasses consécutives, du 4 janvier 1907 au 23 octobre 1909, les veneurs d’aujourd’hui ne sauraient prétendre à un tel palmarès. L’élevage de sa meute, la connaissance du caractère de chacun de ses chiens, la maîtrise des territoires chassés, contribuent tout autant, si ce n’est plus, au succès du veneur que son intuition des ruses de l’animal.

Dans son désormais ouvrage de référence*, Charles Stépanoff écrit : « Il faut que la chasse puisse échouer, infligeant à l’homme l’expérience – aujourd’hui rare – des limites de sa domination. Conceptuellement, la chasse implique nécessairement une altérité qui résiste. »

Cette altérité dont il tente de triompher constitue pour le veneur le perpétuel défi, le perpétuel mystère, celui dont, à chaque retraite, qu’elle soit prise ou manqué, il est tout entier habité. La vènerie n’est pas un jeu, ni un loisir. Le marquis d’Onsembray et, plus tard, Monique de Rothschild affirmaient que la vènerie est un art. Comme tel, il a, lui-aussi, sa part de mystère, questionné sans fin.

* « L’animal et la mort » aux Editions La Découverte

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