Le monde en défaut

S’arrêter de longues minutes à écouter bruire la nature. Fouler et refouler inlassablement le même kilomètre. Être attentif à une branche qui frémit, un chien qui hume, un cheval sur le qui-vive. Attendre qu’il se passe enfin quelque chose… Le temps du confinement serait-il bien connu du veneur : le temps du défaut ?

L’épidémie de coronavirus a eu raison de notre fin de saison de chasse. Peut-être donnera-t-elle raison à notre vie de chasseurs.

Rat des villes autant que rat des champs, je suis bien placé pour savoir que l’épidémie est arrivée par ceux, et d’abord à ceux, qui prennent l’avion aussi facilement que le métro – mais rarement la voiture. Ces citoyens du monde à qui le monde, pour une fois, le rend bien. Ces gens de tous horizons qui, pour plusieurs semaines, n’en ont plus qu’un devant les yeux. Presbytes de toujours contraints soudainement à la myopie.

Rat des champs autant que rat des villes, je n’ai pas hésité très longtemps lorsqu’il a fallu choisir entre tourner en rond dans quelques mètres carrés ou regagner ma campagne natale. Plus d’un million de Parisiens en ont fait autant, qui ont su se rappeler, en pleine crise, qu’ils avaient des racines quelque part. D’autres, sans doute, (re)découvrent ce qui, à nous, veneurs, est familier : le rayon d’action tracé à la vigueur des mollets, la nature en plein réveil de printemps, le plaisir d’un bon repas, la joie de journées en famille. Une sorte de rappel à la modestie pour l’homme universel et connecté, pour une société qui ne cesse jamais d’accélérer et que quelques molécules de matière vivante suffisent pourtant à mettre à l’arrêt. Au passage, a-t-on entendu personne prendre la défense du virus et refuser qu’on le combatte, au nom d’une soi-disant égalité entre les espèces ?

Les réfugiés du covid découvrent peut-être aussi autre chose : un mois à la campagne, sans cinéma, sans bar à chaque coin de rue, avec une bande passante qui décourage rapidement de télécharger le prochain épisode d’une série… Laissons-les mariner un peu et – qui sait ? – peut-être sera-t-il temps, fin septembre, de leur rappeler que la vènerie est aussi un spectacle auquel tiennent bien des gens qui, dans nos contrées, n’en ont pas beaucoup d’autres. Et – qui sait encore ? – peut-être accepteront-ils que les rats des champs, qui les ont accueillis sans discuter en pleine débandade, ont encore le droit qu’on ne leur impose pas le mode de vie des rats des villes qui ont fui le leur.

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