La forêt en guerre

Maître de conférences à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, membre du Laboratoire d’Anthropologie Sociale, Charles Stepanoff vient de consacrer un article très intéressant à la chasse à courre. Il est titré « La forêt est en guerre. Enquête sur le conflit autour de la chasse à courre.»

Charles Stepanoff doit d’abord être remercié de son travail. De tout temps, les tentatives d’idéologues avides de pouvoir ont privé l’Homme d’un accès à la connaissance. Notre époque n’y échappe pas qui substitue la facilité de l’émotion à l’effort de la recherche du savoir. Charles Stepanoff, lui, n’a pas ménagé ses efforts pour comprendre ceux qui aiment la vènerie et ceux qui la combattent, mettant en résonnance cette dualité avec d’autres civilisations. Il serait très prétentieux de vouloir résumer son article dans ces lignes ; tâchons seulement de donner au lecteur l’envie de s’y plonger.

L’auteur définit la vènerie comme « la victoire de l’homme sur la bête sauvage à l’issue d’un combat loyal » quand les animalistes entretiennent avec la faune « une relation de protection envers un animal-enfant… Ce sentiment de responsabilité parentale à l’égard d’animaux vus comme des enfants explique sans doute la virulence avec laquelle les militants entendent les défendre… On pourrait ainsi discerner dans la chasse à courre une forme de prédation guerrière comparable à celle des Jivaros d’Amazonie, et dans le mouvement animaliste une forme de domination protectrice évoquant les sociétés pastorales d’Afrique de l’Est. »

Il a compris que, « pour les veneurs, l’essentiel n’est pas de préserver la vie d’un animal en particulier, car tous finissent par mourir, mais de garantir les conditions écologiques pour que l’espèce se reproduise et s’épanouisse dans un environnement propice. »

Il consacre plusieurs paragraphes au face à face qui voit s’opposer nos suiveurs et les animalistes, et en analyse les causes sociologiques avec une grande acuité. Il comprend ainsi très bien que « l’attachement des milieux populaires ruraux à la vénerie semble tenir notamment à la revendication d’un mode de vie enraciné dans les champs et dans la forêt, qui entrelace nature et humanité, puissance sauvage et sociabilité. »

A l’inverse, « une différence fondamentale de point de vue sur la tradition oppose veneurs et militants. Pour ces derniers, la tradition rituelle n’est pas une valeur, mais un « poids » venu des « ancêtres » auquel les veneurs se soumettraient par manque de réflexion. Ils mettent en avant par contraste un mode de pensée fondé sur l’argumentation éthique, la prise de conscience individuelle et le rejet de normes sociales et de comportements transmis par héritage. »

Charles Stepanoff identifie parfaitement que « les militants pénètrent dans le monde des suiveurs en prônant une échelle de valeurs inverse à celle de ces derniers : ceux qui, pour les suiveurs, font figure de « connaisseurs » sont dégradés en « larbins » et « barbares sanguinaires », tandis que des novices sont portés au sommet en tant qu’êtres empathiques et civilisés. » Et encore, « les militants s’efforcent de discréditer les suiveurs en les qualifiant de ramassis de populace, larbins, laquais, serfs. Ceux dont l’origine modeste est la plus évidente sont surnommés les clodos. »

Là où nos opposants prétendent « documenter la chasse à courre » alors qu’ils ne font qu’y poser le prisme convenu de leur vision fantasmée de la nature au bénéfice de leur petite propagande, Charles Stepanoff, en anthropologue chevronné, livre une analyse tout en finesse de deux mondes que tout semble opposer. La conclusion de son article devrait, au moins, recueillir l’assentiment de tous ceux qui refusent de céder à l’obscurantisme : « L’enquête nous permet de conclure que militants et veneurs partagent bien plus qu’ils ne le croient : l’amour de la forêt et l’admiration pour la grande faune sauvage, bien qu’ils soient séparés par des conceptions différentes des continuités et des discontinuités entre humanité et nature. En revendiquant l’exercice au cœur du monde sauvage d’une tradition culturelle qui, avec ses costumes, ses fanfares et ses cérémonies, entretient un rapport paradoxal à l’animal associant protection, identification morale et confrontation sanglante, la chasse à courre se heurte à une cosmologie moderne qui définit la nature comme un univers séparé de la vie sociale et des traditions humaines. »

La défense de notre mode de chasse est trop précieuse pour s’en remettre aux invectives dans lesquelles nos opposants voudraient cantonner le débat, scandant ad nauseam une vingtaine de mots rangés dans un ordre indistinct pour tenter de discréditer la vènerie.

La passion qui nous anime se marie difficilement avec la compréhension de ses ressorts et son explication pédagogique. C’est pourtant bien la condition qu’il nous faut désormais satisfaire pour espérer être compris de nos contemporains.

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