Le loup, le cerf et l’enfant

Un événement d’importance s’est produit le vendredi 3 mai à Corrençon-en-Vercors dans l’Isère. Là, au petit matin, au beau milieu de la place du village, près de l’arrêt de bus où les enfants montent dans le car scolaire, un cerf éventré a été découvert mort, gisant dans son sang. Très vite le responsable de ce carnage atroce fut identifié : un loup !

La dictature de l’émotion, sous laquelle nous vivons et dont les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux sont les agents les plus actifs, se mit à trembler sur ses bases. Qui était la victime ? Quelle cause fallait-il défendre ? Pour qui installer la fameuse cellule psychologique ? Le loup affamé, le cerf dévoré, l’enfant choqué ou les parents désorientés ? Les âmes les mieux pensantes y perdaient leur latin.

Bien sûr, certains des nôtres, sans cœur, raillèrent le mépris du loup pour les zones d’habitation, dans lesquelles les veneurs, eux, se sont engagés à gracier les animaux sur leurs fins. Ils y virent aussi l’opportunité de dénoncer les incohérences des mouvements à la mode et les limites du triptyque ICI (entendez « Ignorance Compassion Indignation »), trinité des temps modernes qui leur fait office de ressort dialectique. C’était plutôt drôle, mais ça ne répondait pas à la question : quelle était la bonne CAD (entendez « Cause A Défendre ») et, en conséquence, quel était le MAD (entendez « Méchant A Dénoncer ») ?

Les faits sont pourtant simples. La croissance constatée des populations de loups les conduit à quitter les alpages et à rechercher leur nourriture dans la proximité des lieux habités par l’Homme. Le cerf y prospère ; il retrouve avec le loup un de ses prédateurs historiques, dont il a appris à se défendre ; mais chaque confrontation est un combat, que le loup et le cerf perdent alternativement. C’est le grand cycle de la Nature. Le loup poursuit et tue le cerf pour se nourrir ; il mange jusqu’à satiété et abandonne les restes sur place. Le spectacle qui en résulte est peu ragoutant pour des enfants qui attendent le car scolaire ; on leur a appris que le poisson, rectangulaire et pané, vit dans les congélateurs et que le poulet gîte sous cellophane dans la fraîcheur des réfrigérateurs des supermarchés.

La recrudescence des loups, dont il n’est pas question de dire ici si elle est opportune ou pas, confronte l’Homme aux réalités de la Nature. Les Africains ne s’étonnent pas de voir le lion manger le phacochère ou le guépard manger l’antilope. De même, l’Européen doit admettre que le loup mange cerfs et moutons ; et que le chasseur régule la faune sauvage, pour permettre la cohabitation de ses espèces avec les activités humaines.

Éduquons nos enfants à connaître ces lois de la Nature et à accepter l’idée de la mort, celle des animaux comme celle des humains. Car c’est bien ce qui sous-tend les bêlements zoolâtres qui défient le sens commun : faire disparaître la souffrance et la mort. Elles sont pourtant consubstantielles à l’état de vivant.

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