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Bien-être animal : épisode #4

En présence de carnivores domestiques, les animaux sauvages savent parfaitement faire la part des choses entre les chiens promeneurs, chiens errants, meutes en tous genres et adopter les différentes phases d’une fuite plus ou moins longue, en fonction du niveau de danger évalué, sachant d’ailleurs dédaigner ce même danger quand il ne les concerne pas (pour preuve la relative passivité d’une harde d’où vient de se déharder un animal chassé et contemplant, immobile, comme plus concernée, le passage de la meute collée à la voie).

Capables de faire face à un danger négligeable voire même de le repousser, les cervidés peuvent aussi bien se lancer dans une fuite éperdue, jusqu’au bout de leurs forces s’ils pressentent un danger mortel, et surtout développer des ruses pour échapper à leurs poursuivants, ruses d’autant plus efficaces qu’ils disposent d’un vrai territoire et qu’ils ont pu les expérimenter. La présence régulière d’une meute de chiens courants, danger naturel, contribue sans doute à maintenir l’intégrité sauvage des cervidés en sollicitant occasionnellement cet ensemble de défenses comme un authentique patrimoine.

Cet héritage inné de millions d’années d’évolution, modelé par la confrontation probable avec un prédateur, se trouve entretenu par l’apprentissage sur le terrain. Une meute de chiens courants participe aussi dans une certaine mesure à une forme de sélection. Tous les cerfs coiffés sont désormais courables, y compris et surtout les plus jeunes (et malheureusement pas les biches…). La plupart des équipages ayant adopté l’attaque de meute à mort, la majorité des prélèvements s’effectue parmi les animaux à proximité des hardes, c’est-à-dire dans les classes d’âge plutôt jeunes, celles des sujets aux aptitudes physiques les plus performantes même si dans ce type d’attaque, où d’une certaine façon la meute (prédatrice) choisit, c’est le plus souvent sur le plus faible, celui qu’elle sent davantage à sa portée qu’elle se regroupera.

Dans ces conditions, si elle s’affranchit du choix systématique du meilleur cerf du rapport, la vènerie établit en moyenne un prélèvement relativement représentatif de la structure de la population mâle, ce qui permet à une frange d’animaux de vieillir suffisamment pour atteindre l’âge adulte reproducteur pour la transmission des meilleurs gènes. En entretenant les aptitudes physiques, en les sollicitant à l’image des prédateurs ancestraux, elle détermine surtout une sélection fondée sur des performances physiques et non pas sur une conformation de trophée et participe ainsi à sa façon au maintien de la biodiversité.

Conclusion : Les populations de grands cervidés ont considérablement augmenté ces dernières années et la nécessité de leur régulation s’impose. En l’absence assurément définitive de grands prédateurs, seule la chasse, dans un cadre de gestion concertée des espèces, permet de maintenir ces populations à un niveau tolérable pour le forestier, l’agriculteur et la bonne santé de la population elle-même.

Il paraît aussi indispensable de maintenir une présence de grands chiens courants dont la vènerie représente l’archétype puisque perpétuer cet acte de chasse ancestral et naturel garantit l’intégrité sauvage qui sollicite et entretient les défenses innées et acquises par le gibier. En outre, en raison de ses exigences territoriales, la vènerie contribue à favoriser la libre circulation des animaux, condition indispensable au brassage génétique nécessaire à la survie des espèces. Dans ces conditions, le seul bien-être à apporter aux animaux sauvages est d’assurer la préservation de leur milieu avec toutes ses composantes et plutôt que laisser l’opinion se focaliser sur leur mort, tâchons seulement de montrer qu’ils conservent une belle qualité de vie.

Photo : Fabrice Toutée, Objectif Vènerie

Bien-être animal : épisode #3

Deux questions se posent. En absence de prédation, l’animal sauvage peut-il conserver sur le long terme son intégrité physique, physiologique et comportementale pour la transmettre à sa descendance, et les carnivores domestiques peuvent-ils solliciter utilement ces aptitudes ? Les carnivores sauvages, eux, se sont également adaptés en adoptant diverses stratégies pour capturer leurs proies, notamment les canidés ou des familles proches. Chez certains, la technique s’apparente à la chasse individuelle à l’approche ou à l’affût, chez d’autres davantage à la chasse collective, ce qui leur permet d’attaquer des proies plus lourdes et potentiellement plus fortes. Ainsi apparaît la notion de meute pour laquelle on observe un phénomène de convergence à travers les continents. Dans ce type de prédation, la meute chasse en jouant sur les complémentarités entre individus, mélangeant la menée à vue, le pistage par l’odorat ou l’embuscade. Cette prédation participe donc à la régulation des populations dans le cadre d’une sélection naturelle en éliminant prioritairement les sujets les plus faibles, ceux dont la transmission des gènes n’est pas souhaitable.

Une meute de chiens courants peut-elle jouer un rôle identique tout en contribuant au maintien des aptitudes de l’animal sauvage proie dans son environnement ?

Dans la plupart de nos forêts, en raison de la proximité d’activités humaines, les cervidés sont confrontés à de fréquents dérangements envers lesquels ils réagissent différemment. Très vite ils apprennent à anticiper le danger et détectent immédiatement tout changement dans un environnement qu’ils connaissent comme sécurisé. Ils distinguent par exemple d’emblée et de loin la randonnée sonore sur des sentiers connus de l’intrusion discrète d’individus sous-bois. Fréquentant des gagnages découverts, ils semblent indifférents au passage d’un flux de véhicules mais perçoivent le moindre ralentissement suspect et adaptent leur distance de fuite en conséquence.

Ces diverses sollicitations, si elles ne sont ni permanentes ni violentes contribuent à maintenir un niveau de vigilance élevé mais supportable que l’on a qualifié de stress doux, état lui-même préparatoire au stress violent nécessaire à la survie. Elles induisent le comportement de prudence permanente qui caractérise les cervidés et les herbivores en général : depuis leur plus jeune âge, guidés par leur mère, puis au sein de regroupements familiaux et de hardes d’adolescents, en même temps qu’un comportement d’éveil, de détection du prédateur, ils emmagasinent une connaissance des lieux, des saisons et une expérience collective qui détermine toutes leurs activités : leur façon de se rembucher, de se coucher en sécurité le vent dans le dos, de se fier à la femelle meneuse etc.

Extrait d’un article paru dans la revue N°209 – Mars 2018  |  Photo : Florian Guin

Bien-être animal : épisode #2

La biodiversité apparaît à travers la physiologie et l’éthologie des animaux. Les cervidés par exemple apprennent à vivre en groupes, instituent une hiérarchie qui affermit les structures sociales et amplifie la qualité de la vigilance. Sur un autre plan, des adaptations physiologiques leur permettent de mobiliser ultra rapidement leurs ressources pour réagir instantanément et positivement à toute agression dans ce monde sauvage : c’est l’effet bénéfique du stress, mécanisme de défense et de survie primitif, mais tout à fait adapté au contexte originel et qui permet, au-delà de l’état d’éveil, de déclencher les processus d’un instinct de survie et de faire face au danger. Le stress peut en effet se définir comme un ensemble de réactions physiques, chimiques et émotionnelles causant des tensions d’ordre musculaire ou mental lorsque l’animal perçoit un stimulus extérieur, un signal d’alarme.

Une situation de stress implique toujours une stimulation de l’hypothalamus, c’est-à-dire de la partie la plus ancienne du cerveau, dans les territoires dits reptiliens. Dès la détection d’une situation de danger, s’enclenche tout un processus instinctif de survie qui se traduit par la production de substances spécifiques grâce à une succession de mécanismes neuroendocriniens… Ainsi, lors d’une agression violente, grâce au stress induit les capacités augmentent, notamment celles permettant une fuite rapide. Le cœur devient plus efficace, les bronches dilatées facilitent l’apport d’oxygène, la douleur paraît atténuée par la libération d’endorphines ou morphines naturelles ; l’apport en sucre est augmenté et le temps subit une distorsion qui permet de pouvoir appréhender, en un même délai, plus d’informations que normalement.

Le stress animal défensif émane donc d’un niveau cérébral fonctionnant de manière essentiellement inconsciente et instinctive, ne nécessitant aucun apprentissage et n’en permettant aucun, ce qui explique le caractère peu contrôlable, du moins directement, des vécus et impulsions qui en proviennent. Il est fondamental au maintien de l’intégrité de l’animal sauvage qui ne le vit, pour l’essentiel, qu’en contexte de danger immédiat, pour préparer son corps à courir pour échapper au pire. Car dans ce monde sauvage-là, celui dans lequel ces mécanismes primitifs de survie ont été sélectionnés selon les lois de l’évolution des espèces, il suffit ordinairement d’une fois, d’une seule erreur, pour mourir !

En revanche, un stress peut être dangereux s’il est dépassé, par exemple s’il est consécutif à une forte pression, des dérangements lourds, incessants, à une compétition inter ou intra spécifique trop intense, à une perturbation profonde des rythmes d’activité… Cette toxicité du stress, lorsqu’il devient permanent, s’explique par la nocivité des substances libérées non consommées par l’organisme en absence d’un effort physique associé…

Le stress a accompagné l’évolution de l’espèce : au fil de l’évolution, avec le développement de la vie en hardes, le perfectionnement des structures cérébrales a en effet permis un meilleur contrôle du territoire de pâture. Plus globalement, l’augmentation des capacités adaptatives a réduit et modulé la forme et le rôle des mécanismes primitifs du stress. Et comme celui de leurs ancêtres le comportement quotidien des animaux que nous observons aujourd’hui reste fondamentalement celui d’un herbivore guidé en permanence par l’opportunité d’une confrontation avec un prédateur, phénomène qui n’est pas anormal en soi, simplement potentiel. En marge du stress vécu comme la réponse immédiate à une situation d’urgence, ce comportement d’adaptation prend la forme d’une réponse acquise grâce à l’expérience du groupe et susceptible d’être transmise à travers les générations.  

Bien-être animal : Episode #1

Xavier Legendre, professeur au Muséum d’Histoire naturelle, avait confié à la revue Vènerie ses analyses sur le rôle de la chasse à courre dans la conservation des spécificités de la faune sauvage. Au fil des prochaines Newsletters, nous revenons sur cette contribution scientifique majeure à la compréhension des atouts de la chasse à courre.

La chasse aux chiens courants, et en particulier la chasse à courre, contribue au bien-être animal. En ces moments où nos opposants voudraient faire interdire ce mode de chasse qu’ils qualifient de cruel, on voit combien ils ignorent ce que représentent les chiens courants pour le bon équilibre naturel… Pour avoir chassé à courre dans de nombreuses régions de France, il ne fait pas l’ombre d’un doute que les animaux qui sont régulièrement chassés aux chiens courants sont beaucoup plus difficiles à prendre que ceux qui vivent dans des régions où ce mode de chasse n’existe pas ou plus : les chiens courants les rendent plus résistants et surtout plus rusés.

Parlons des cerfs. Dans les forêts chassées aux chiens courants, ils seront déjà plus difficiles à rembucher : s’ils prennent connaissance du valet de limier, ils risquent de se mettre debout et on ne les reverra pas. Je me rappelle un territoire où il y avait quelques cerfs de passage. Lorsque le piqueur de l’équipage allait en reconnaissance la veille, à chaque fois le cerf n’était plus là le lendemain au grand désespoir du propriétaire qui se faisait une joie de faire une chasse à courre chez lui. Le maître d’équipage lui dit « si tu veux que l’on attaque un cerf chez toi, il ne faut pas que mon piqueur y aille la veille car il sent le chien ». La fois suivante nous attaquâmes un cerf…

Comme tout être vivant, l’animal sauvage s’intègre dans la grande chaîne de la prédation. Vivant en interaction avec toutes les autres espèces, il obéit en permanence à une loi immuable : manger ou être mangé. Cette compétition interspécifique rythmée par la succession des générations fait qu’au cours de millions d’années, d’innombrables mutations génétiques ont façonné les espèces vivantes, les plus favorables permettant l’apparition, la transformation et l’insertion de ces espèces dans les places laissées vacantes tandis que d’autres disparaissent. C’est la loi de l’évolution.

Les êtres vivants remplissent donc sur terre une double mission : celle de maintenir les équilibres et celle de perpétuer les espèces en transmettant à leur descendance les meilleurs gènes susceptibles d’en assurer la pérennité, participant ainsi activement au maintien d’un patrimoine planétaire immensément riche, la biodiversité.

Cette biodiversité s’exprime par des acquis anatomiques et fonctionnels. Prenons le cas de la longue évolution des ongulés dont on pourrait fixer un « début » il y a 60 millions d’années, à la suite des cataclysmes ayant anéanti la plupart des espèces, notamment les dinosaures. Cette formidable opportunité a permis aux mammifères de se diversifier et de coloniser la plupart des milieux. Ceux qui adoptent un régime herbivore s’inscrivent définitivement dans la catégorie des proies et au fil des millénaires, élaborent des stratégies de survie face à la menace permanente des prédateurs, stratégies que les plus forts, ceux qui survivent le plus longtemps, transmettent à leurs descendants dans cette lutte impitoyable.

Dans les territoires herbacés ouverts qui les exposent à un danger permanent, certains inventent la rumination, afin de pouvoir rapidement ingérer les quantités nécessaires et aller ensuite digérer à l’abri du couvert végétal ; leurs sens se perfectionnent ; la longueur accrue du cou permet de brouter au sol et en relevant la tête d’embrasser rapidement l’horizon avec un angle visuel très large ; une ouïe et un odorat hypersensibles permettent une détection sensible de la proximité de prédateurs. Ils y réagissent par l’alerte et la fuite et dans ce but, ils acquièrent des perfectionnements à la locomotion : la fusion de leurs métapodes en un os canon en fait des onguligrades.