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Antispécisme & véganisme : l’empathie dévoyée

La conviction profonde, l’empathie et l’émotion pures présentent un avantage (ou un inconvénient, c’est selon !) non négligeable : elles sont inaccessibles à la réfutation, donc à la discussion contradictoire. Avoir le monopole du cœur – surtout à une époque où le sens critique se satisfait du cliché ou se réduit à l’insulte –, c’est d’emblée être autorisé à faire l’économie du raisonnement qui, toujours, a pour fonction de mesurer les conséquences pratiques de tel ou tel postulat. Nos chers antispécistes et autres végans font à cet égard figure… d’archétypes. De quoi s’agit-il ?

Partons d’un cas concret, qui n’a pas même l’excuse de la rareté. Interrogée par nos confrères de Marianne en octobre dernier, Alexandra, 34 ans, végane depuis cinq, déclare : « Au début, j’étais en guerre. J’étais tellement révoltée par les images. J’avais tout compris, c’était une obsession. Mais ça ne sert à rien d’agresser les gens. […] Comme on est réveillés, on a envie que tout le monde se réveille… » Nombreux sont ces individus qui, soudain éclairés, n’acceptent pas l’obscurantisme dans lequel d’autres croupissent. Ils ont connu l’instant de la révélation qui transfigure – comment n’éprouveraient-ils pas le besoin d’en partager, d’en imposer la substance ? Le prosélytisme croît sur la ruine du doute.

Élément intéressant, souvent présent dans le récit de l’éveil des véganes : ils ont subi un choc émotionnel en visionnant des images d’animaux maltraités, dans les abattoirs ou autres – en l’occurrence, celles diffusées sans le moindre filtre par L214. Assurément, cela dénote une démission de la faculté critique et, surtout, le primat absolu d’une émotivité sacralisée qui bâillonne ou balaye le discours le plus parcimonieusement pondéré… Affirmation gratuite ? Observons leurs méthodes. Elles sont grosso modo au nombre de deux.

D’abord, l’action violente. Boucheries, poissonneries, abattoirs : on commence, hélas, à connaître la musique… Destruction de vitrines, menaces, incendies – avec un courageux « stop spécisme » pour signature. Et la volonté, parfaitement assumée, d’entrer en conflit ouvert avec les pouvoirs publics. Rien de nouveau, en vérité.

Ensuite, la scénarisation de la tragédie – certains parlent d’holocauste et de génocide – subie par les animaux, lors de manifestations organisées par ces êtres purs qui envisagent systématiquement le consommateur de viande comme un crypto cannibale : ici, une jeune femme portant un porcelet mort dans un linge tel un nourrisson ; là, quelques adeptes se faisant marquer au fer rouge pour sensibiliser le grand public au sort des bêtes destinées à être mangées ; là encore, les mêmes, se badigeonnant de faux-sang, et s’étendant au sol, presque nus, pour que chacun finisse par confondre les notions d’abattage et de meurtre, de steak et de morceau de cadavre, etc. Le tout allègrement relayé par certains médias – notamment de l’image – qui, loin d’exercer leur sens critique, ont bien compris le parti qu’ils pouvaient tirer de l’extrémisme transformé en spectacle.

La conclusion ? Elle est très simple : indignation n’est pas raison. Tout le monde – ou presque – est capable d’empathie. Mais si celle-ci corrige parfois opportunément le discours rationnel, elle ne saurait constituer, à elle seule, le fondement de notre rapport au monde. Or c’est exactement ce que font nos végano-antispécistes.

Jours de Chasse n°75 – Printemps 2019Cliquez sur l’image ci-dessus pour télécharger l’article