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Nous sommes des inuits

Depuis plusieurs dizaines d’années, notamment du fait de l’industrialisation de l’agriculture et de la pêche, et d’une urbanisation des populations à l’échelle mondiale, la vie « incarnée », lien réel entre Homme et Nature, se dissipe peu à peu. Notre Humanité devient une douleur pour certains qui, de plus en plus nombreux et déconnectés de la Nature, pensent que d’autres hommes sont leurs ennemis dans leur conception nouvelle de cette Nature. Il n’est donc pas anormal que nous assistions de plus en plus fréquemment aux crises existentielles de ceux qui envisagent la Nature selon leur compréhension citadine.

Les émotions ne sont cependant pas les meilleures amies de l’Homme, n’apportant en elles-mêmes aucune connaissance nécessaire à un jugement éclairé. Beaucoup « d’Urbains » semblent dans l’illusion d’avoir dépassé leur Humanité, laissant leurs émotions prendre une part prépondérante sur la réalité. Ils « soutiennent la cause animale », à leur façon, toute pensée contraire serait malséante.

Dans cette guerre sociale et sociologique, la première étape est l’interdiction des « chasses traditionnelles ». Il n’est pas bon d’être le premier bastion qui viendrait à tomber, au risque que les autres suivent un à un.

Cependant, TOUTES les chasses sont traditionnelles : celles de La Gloire de mon père (les tendelles, le tir des bartavelles), l’affût, le rabat vers des chasseurs embusqués, ou encore la poursuite jusqu’à « attraper » l’animal. Toutes sont issues de la préhistoire. Ces modes de chasse se retrouvent sur les peintures rupestres, à l’époque où nous étions très incarnés. Quoi de plus traditionnel que ce qui nous vient de l’aube de l’Humanité.

La tradition amène à la culture, et cette culture a le droit d’être protégée, au même titre que celle des peuples indigènes.

Nous sommes une population, nous sommes un monde, nous sommes ces traditions. Nous voulons avoir les mêmes droits que les Inuits et les Nambikwara de Claude Lévi-Strauss. Nous voulons que l’on protège notre habitat, nos manières de faire. Ces droits sont reconnus et défendus, ces « peuples de sauvages » sont protégés.

Nous sommes un peuple de sauvages dans un univers qui rétrécit sous la pression humaine. Comme dans le film La Forêt d’Emeraude de John Borman, nous ne voulons pas de barrages pour nos grenouilles, nous ne voulons pas de l’émiettage des terres. Nous voulons continuer à chasser nos tapirs, nos phoques et notre ours blanc. Même National Geographic place au premier plan l’Humain avant l’animal, sachant bien que ces traditions sauvegardent la Nature. Nous chassons des animaux qui ne sont pas en voie de disparition. C’est donc bien notre culture qui est en danger.

Pas de chance, car nous ne chassons pas avec des lunettes en os de baleine, emmitouflés dans des habits en peau de phoque, nous ne sommes pas nus comme des vers, avec des plumes situés dans différents endroits. Pour autant, nos traditions sont aussi valables, aussi humainement valables, que celles des tribus d’Amazonie.

Dira-t-on aux Inuits, que la proximité urbaine choquant les petits gars mal épanouis du béton, il leur faut renoncer à leur vie et à leur culture ? Le monde entier plaint les aborigènes d’Australie du sort qui leur a été réservé. Faudrait-il être des aborigènes pour que l’on nous porte secours ? Comme tous les chasseurs animistes, nous rendons grâce à la Nature, voulant que les espèces sauvages continuent au-delà de nous.

Il nous faut montrer notre fragilité, ou plutôt la fragilité de notre science en rapport étroit avec la Nature, une infinie et fragile connaissance. Mais aussi notre force et notre nombre.

En pensant faire le Bien, certains détruiront une culture aujourd’hui vivante qu’il sera impossible de retrouver. Pour autant, les espèces sauvages s’en porteront-elles mieux ?

Jérôme Barré,

Avocat à la Cour