5 décembre 2021 – Bien faire le pied

  Le succès d’une chasse est souvent assujetti à ce préalable indispensable qui consiste à savoir lire et bien interpréter les traces et indices laissés par le gibier convoité.

Comme un livre d’images, les traces et indices de la bête noire révèlent la chronologie d’une existence nocturne qui nous échappe. Mais bien identifier un animal, sa taille, son poids et son sexe à la seule lecture des indices qu’il abandonne sur le terrain ne s’improvise pas. « Faire le pied » ou « faire le bois », dans le jargon des veneurs, de manière à rembucher les sangliers, c’est-à-dire les situer précisément à un endroit donné, requiert une longue expérience de terrain. C’est du grand art, dans lequel quelques rares spécialistes sont versés. Voici les rudiments d’une technique et les pièges à éviter.

Dans la solitude des matins d’hiver

Au petit matin, dans la grisaille d’un mélancolique décor aux tonalités éteintes, voici que le chien tire soudain au trait ; il va, il vient, l’œil brillant, le fouet battant. Son maître distingue alors une empreinte à l’orée d’un bois. Fraîche, elle brise une mince pellicule de glace qui ne s’est formée qu’en fin de nuit. Puis le limier se rabat pour rejoindre le couvert. « Tout beau, tout beau, mon bonhomme. » Tandis qu’il retient et apaise son auxiliaire, le « remetteur » examine d’autres indices. Ici, la terre a été retournée, alors que dans un souillard proche la vase a conservé l’empreinte d’un corps. Plus loin, un chêne porte le long du tronc les traces d’une friction récente. Quelques secondes suffisent à notre observateur pour identifier le passage d’un joli solitaire. Il contourne l’enceinte sans repérer de sortie, avant de signaler la rentrée d’une branchette cassée. Puis il goûte à la magie de l’instant, pendant que s’effacent les dernières ombres de la nuit.

En parvenant à remonter l’écheveau compliqué d’une piste qu’un vieux sanglier excelle toujours à embrouiller pour rejoindre sa bauge, l’un des grands plaisirs de cette quête vient de lui être offert. Il en va un peu de cet homme comme du bienheureux pêcheur campé par l’écrivain René Fallet : « Vous aurez beau vous lever tôt, à la même heure que lui, vous n’entrerez jamais dans son matin, qui n’a pas la dimension du vôtre… »

La procédure

L’opération, donc, est confiée à des spécialistes ou remetteurs que les veneurs nomment « valets de limier ». Le remetteur est aidé dans sa quête par un limier ou chien de pied, souvent un grand chien d’ordre, fin de nez, sage, discret, parfois dressé dès son plus jeune âge à demeurer « secret » (muet) quand il rencontre une voie. Tout au plus hérisse-t-il le poil en grondant sourdement et en « tirant au trait » (sur la laisse) quand il prend connaissance d’une voie de la nuit. Pour aider l’auxiliaire dans sa quête, mieux vaut le placer nez au vent. Sa tâche sera facilitée lorsque la voie est bonne, par vent du nord, quand une légère couche de neige valorise le sentiment ou que l’atmosphère est humide. Il éprouvera plus de difficulté par temps chaud, sec et venteux. Un sol gelé ne facilite pas le travail du limier ni une forte pluie, qui lave la voie. Et les empreintes ne marquent pas sur un sol sec.

Certains chiens très fins de nez et parfaitement créancés, emportés par la fougue et la passion, peuvent induire le remetteur en erreur en tirant au trait sur une voie déjà froide. La lecture attentive des indices par l’homme de l’art vient donc toujours en complément du travail du limier pour confirmer un diagnostic.

Prudence au rembuché

Une fois un pied rentrant repéré, le remetteur contourne l’enceinte pour s’assurer que l’animal n’est pas ressorti en vérifiant les coulées de refuite. Quand cette certitude est acquise, l’entrée de la voie principale est identifiée par une branche cassée – la « brisée » – posée dans la direction de marche de l’animal, très exactement là où il « fait tête ». Les chiens seront découplés ici, à l’endroit du « revoir » de l’empreinte. Puis durant le rond, le remetteur formule son rapport au chef d’équipe ou au maître d’équipage, qui est déterminant pour la suite des événements. Le dicton des vautraits n’affirme-t-il pas « qu’un sanglier bien rembuché et bien attaqué est un sanglier pris » ? Et même si un beau rapproché compte parmi les plaisirs de cette chasse, il est certain qu’une attaque de « meute à mort » sur une bonne brisée facilite les choses en vénerie. En chasse à tir, attaquer un animal bien rembuché aide aussi les chiens de petit pied qui ne sont généralement pas de bons rapprocheurs. Seule réserve : l’obligation de se montrer suffisamment discret, faute de quoi ce gibier de plus en plus chassé vide l’enceinte à la moindre alerte. Se sentir responsable de sa fuite avant même l’attaque est toujours pour un remetteur une cuisante blessure d’amour propre !

Rembuchera ou rembuchera pas ?

Mieux vaut éviter de faire le pied quand cela n’est pas nécessaire, surtout si l’on soupçonne la présence de grands vieux sangliers, qui ont tôt fait de nous éventer. Dans tous les cas, il faut envelopper l’enceinte à distance respectueuse, ne jamais serrer de trop près les animaux et préférer une retraite prudente quand la certitude est acquise qu’un carré est occupé. L’animal n’est pas rembuché dans un mouchoir de poche, mais se trouve simplement en bonne voie comme disent les veneurs, ce qui suffit généralement. Il est aussi important de réagir très vite lorsqu’un solitaire est rembuché. Plus tôt la traque commence, moins on s’expose au risque que l’enceinte soit vide à l’attaque.

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