Pierre de Roüalle :
Président de la société de Vénerie

© Arnaud Fréminet

Depuis toujours, le cheval a été ce compagnon intime auprès duquel j’ai grandi et développé mes passions, mes goûts. Mon grand-père, le commandant de Rivoyre, écuyer au Cadre Noir, médaillé aux Jeux de Lisbonne entre les deux guerres, nous a légué l’amour de ce merveilleux animal, malheureusement à titre posthume.

Mon frère, en devenant entraîneur dans le trot et dans le galop ensuite, m’a transmis la fièvre des champs de courses. Dès ma première feuille de paie, j’ai fait en sorte d’avoir quelques participations dans des chevaux qu’il entraînait. La chance a voulu que je gagne quelques courses, suffisamment en tous les cas pour persévérer. Impossible d’oublier les grands prix remportés qui m’ont fait vivre des moments d’exception. Le plaisir qu’on éprouve lorsque son cheval franchit en tête la ligne d’arrivée avec ses propres couleurs est immense. Juste retour des choses, tant les échecs et les passages à vide ont, par ailleurs, été nombreux. Pour gagner, il faut savoir perdre. Ce sont indiscutablement les chevaux qui m’ont enseigné cette vérité, cette énergie, ce goût d’entreprendre et aussi cette capacité à résister face à l’échec.

Il faut avoir parcouru des milliers de kilomètres à pied derrière ses chiens, comme ce fût le cas lorsque j’ai créé à mes débuts mon équipage de lièvre, pour comprendre, apprécier et savourer l’immense plaisir de chasser à cheval. Ma première jument s’appelait Gorella.

Elle avait honorablement gagné à Vincennes. Malheureusement, elle a « bougé » et nous dûmes, mon frère et moi, nous résigner à arrêter sa carrière pour lui faire des feux. Après un an d’herbage, elle fut totalement rétablie. Quelle jument, que de moments bénis avec elle ! Elle aimait la chasse autant que moi. Jamais nous ne nous perdions. Mieux, elle veillait sans ménagement à être aux côtés des chiens de tête. Lorsque nous partions du chenil pour nous rendre au rendez-vous à cheval, c’est elle qui rappelait à l’ordre le chien indiscipliné qui se permettait de la dépasser. Tous les veneurs ont des histoires de ce genre, n’en doutons pas, elles témoignent de la complicité qui a toujours existé entre les veneurs et leurs montures.

Si aujourd’hui une partie importante des équipages pratique la vènerie à pied, il est impossible de courir le cerf, le chevreuil ou le sanglier autrement qu’à cheval. La loi nous y oblige clairement. Le cheval de chasse est indiscutablement un acteur central de nos laisser-courre. Avec lui, nous sommes au cœur de l’action, nous pouvons servir nos chiens au mieux. Son énergie sera précieuse pour arrêter une fausse chasse, son endurance indispensable pour maintenir une autre qui n’en finit pas de durer. En franchissant les fossés sans encombre, en traversant un ruisseau sans tracas, en acceptant de pénétrer en sous-bois, en adaptant son allure aux terrains et aux circonstances qui évoluent au rythme de cette folle course, le cheval établit une relation avec son cavalier, une véritable relation de confiance. Ensemble, ils trouvent la bonne cadence qui les mènera au bout de leur quête. L’un change de pied et d’allure à bon escient tandis que l’autre accompagne ses mouvements dans une recherche perpétuelle d’équilibre. Ils reprendront au même moment leur souffle avec une réelle connivence. A la chasse, le veneur cherche en effet à établir une complicité de tous les instants avec sa monture, fondée sur le respect mutuel et la confiance réciproque.

Se noue alors au fil des chasses cette osmose si utile, si belle et si convoitée. Voilà pourquoi être veneur, c’est aussi être cavalier.

Tout est beau dans une chasse à courre, à commencer par la forêt où va se dérouler cette formidable dramaturgie. Il y a les tenues flamboyantes des veneurs et la musique des trompes qui résonnent dans ces futaies bâties comme des cathédrales. Elles se mêlent aux récris joyeux des meutes, cherchant ensemble à célébrer ces hymnes à la beauté. Nos chevaux participent, par leur élégance, à l’esthétique de ces chorégraphies cynégétiques.

La vènerie appartient au patrimoine culturel de la France, personne n’en doute vraiment. La peinture, la musique, la littérature, la langue française et l’architecture rappellent, s’il le fallait, cette évidence. Pour autant, cette reconnaissance officielle se heurte à de nombreuses résistances idéologiques, à cette barrière du politiquement correct, à la dictature de la pensée unique qui jette aux gémonies une partie de nos racines rurales. Nos efforts ont malgré tout fait progresser cette cause vers la reconnaissance officielle. Il faudra être patients mais également déterminés pour que justice soit rendue. Quelques musées s’emploient à faire connaître ces trésors, qu’ils en soient vivement remerciés.

Le cheval de chasse est, à sa manière, un témoin vivant de ce patrimoine. Il nous permet d’établir une passerelle avec le monde du cheval et ainsi mieux faire connaître notre identité. Avec les chiens de meute, les chevaux de chasse sont nos meilleurs ambassadeurs. Il suffit de voir le succès qu’ils rencontrent lorsque nous organisons, partout en France, nos fêtes de la chasse. Ils sont, les uns et les autres, notre fierté et notre bien le plus précieux. Voilà pourquoi il nous faut prendre le plus grand soin de nos chevaux, veiller à ce qu’ils soient au mieux de leur forme, s’assurer qu’ils soient bien toilettés et correctement harnachés comme le veulent nos traditions. Il ne fait aucun doute non plus que leurs cavaliers doivent avoir de réelles compétences et maîtriser au mieux cette équitation si sportive.

Mais pourquoi un guide des bonnes pratiques ? Voilà plusieurs années que je réfléchis à ce projet. Il aura fallu beaucoup de travail et d’énergie pour y parvenir, il n’était pas question de le bâcler tant cet exercice m’apparaissait indispensable. Ce guide nous permettra de mieux faire connaître cette équitation d’extérieur façonnée par des siècles de pratique, auprès notamment des nombreuses filières liées au cheval. Ce sera même une mission première de la commission cheval de chasse durant les prochaines années. Puisqu’il est notre ambassadeur, donnons-lui la visibilité qu’il mérite et mettons-le à l’honneur à chaque fois que nous le pouvons. Chaque année, les équipages accueillent de nouveaux venus qui deviendront parfois boutons de leur équipage. Souvent, ils découvrent la chasse à courre grâce à l’équitation qu’ils pratiquaient jusqu’alors dans l’espace confiné des manèges. Rapidement, ils apprécient l’ivresse des espaces libres et la magie joyeuse et entraînante des laisser-courre. Ce guide permettra de leur donner des repères sur cette pratique exigeante.

Ne le contestons pas, il y a aussi matière à progresser dans ce domaine. Faire des veneurs des cavaliers plus avertis et tirer vers le haut cette discipline a toujours été un objectif de la Société de Vènerie. Mon prédécesseur, Philippe Dulac, s’est employé en 2001 à faire reconnaître cette pratique comme discipline à part entière de la Fédération Française d’Equitation. Cette démarche a été déterminante et particulièrement bénéfique. Le championnat de France du cheval de chasse qui se déroule chaque année au Grand Parquet de Fontainebleau a permis de mettre en valeur des couples veneurs-chevaux qui font honneur à la vènerie.

Le président de la Fédération Française d’Equitation, Serge Leconte, et moi-même nous sommes fixé un autre objectif : celui de rapprocher les clubs hippiques des équipages, et d’accueillir ainsi des cavaliers désireux de découvrir la chasse à courre. L’hospitalité a toujours existé au sein de la vènerie, elle témoigne d’un esprit d’ouverture que je m’emploie à encourager.

Face à des attaques souvent acharnées, les chasseurs ont compris la nécessité d’être solidaires et unis. Ensemble, ils sont plus forts et mieux écoutés. Le monde du cheval, que ce soit dans l’univers des courses, celui des concours hippiques ou de complets, subit également des agressions provenant de mouvements d’origine anglo-saxonne se revendiquant de mouvances animalistes. La solidarité au sein du monde du cheval doit prendre, elle aussi, de l’ampleur si nous voulons résister à ces démolisseurs de traditions et de savoirs. De leur côté, les veneurs doivent être irréprochables en termes de comportement vis-à-vis de leurs chevaux. La façon avec laquelle ils les soignent et les utilisent doit forcément être exemplaire avant, pendant et après la chasse. Ce ne sont pas des machines servant à nous déplacer, mais des compagnons de chasse dont l’absence nous renverrait à notre condition de bipèdes impuissants. Revendiquons et défendons nos connaissances, nos expertises et nos compétences dans ce domaine. C’est aussi l’objectif de ce guide de les rappeler. Nous aimons passionnément nos chevaux comme nos chiens, faisons-le savoir.

Je voudrais en dernier lieu remercier sincèrement Arnaud Gritti, veneur, cavalier, homme de cheval et meneur d’attelage à quatre, à qui j’ai confié ce défi de rédaction du guide. Il a parfaitement su le relever, vous en jugerez par vous-mêmes. Nous avons voulu concevoir un document pratique que l’on peut, soit lire d’une seule traite, soit consulter à tout moment pour aller y chercher un conseil, vérifier un élément. Sa contribution a été déterminante, merci Arnaud. Nous avons pris soin de le faire relire par des hommes de cheval accomplis. Consultez la page des remerciements, ils sont nombreux à avoir apporté leur concours à cet ouvrage. Merci à tous.

Bonne lecture, mes amis.

© Arnaud Fréminet

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